« Dijon est pour les enfants de Dijon le pivot du monde »

Article publié le 31 janvier 2016

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« Solennel dans sa toilette, apprêté dans sa pose, ses allures, son langage », il « se drape comme s’il était constamment en représentation, comme si tous les yeux de la civilisation étaient particulièrement fixés sur lui. » Dans son livre « Dijon » publié en 1849, rubrique « Moeurs et caractère », l’archéologue et écrivain beaunois Joseph Bard (1803-1861) dresse le portrait-type du Dijonnais. C’est croustillant, et surtout, redoutablement actuel!

« Malgré les révolutions politiques qui y ont exercé une si puissante influence, le type régence et Louis XV domine encore à Dijon dans l’aspect général, dans l’architecture et la société. Les broderies démocratiques se dessinent sur un fond largement aristocratique. C’est toujours une ville d’étiquette, d’équipages, de livrées, d’existences à grand bruit de chiens et de chevaux. – Les moeurs dijonnaises ont en apparence quelque chose de théâtral, d’étudié, d’officiel, d’académique peut-être, que tout observateur sérieux constatera.

« Il y a une idée fixe dans la population dijonnaise, c’est que Dijon est une grande ville »

En général solennel dans sa toilette, apprêté dans sa pose, ses allures, son langage, le Dijonnais se drape comme s’il était constamment en représentation, comme si tous les yeux de la civilisation étaient particulièrement fixés sur lui. – ce n’est ni de la fatuité, ni de l’arrogance, ni de la morgue, ni de la fanfaronnade, ni de la pédanterie systématique, c’est une habitude toute naturelle, toute bénévole, un pli pris : ce n’est pas un calcul. De vieilles traditions de royauté, infiltrées dans le sol et les familles, continuent à influer sur le peuple dijonnais et l’éducation qu’il reçoit. Dijon est ou veut toujours être la capitale à la puissance politique près. De là cette propension permanente à jouer la grande cité. Il y a une idée fixe dans la population dijonnaise, c’est que Dijon est une grande ville ; les Dijonnais attachent une grande importance à ce mot.

« Peu importe au Dijonnais la réalité, s’il donne l’apparence »

On croirait presque que peu importe au Dijonnais la réalité, s’il donne l’apparence. Il sait faire valoir sa personne, s’arranger comme la cité a arrangé ses monuments, tirer parti de tout. C’est peut-être ce qui avait motivé l’ancien “dictum” beaucoup trop absolu d’“habit de velours, ventre de son”, et qu’il faut bien se garder de prendre au pied de la lettre. Rien ne ressemble plus à la grisette parisienne et florentine que la grisette dijonnaise, elle a un tact, une recherche, un art infinis.

Et, en tout ceci – qu’on veuille bien s’en persuader – rien d’exclusif dans mes idées. Quand je caractérise un type assez ostensiblement marqué, je sais que d’exceptions font à la règle, le coeur, l’éducation, le bon goût, le savoir d’un grand nombre. L’histoire doit relever avec la même fidélité, faits, monuments, moeurs.

« Amour exclusif »

Ce n’est pas moi qui blâmerai cette fierté instinctive propre au caractère dijonnais, fierté mêlée d’une exquise urbanité, car je comprends qu’on se félicite de la circonstance fortuite qui vous a donné une si belle et si glorieuse patrie. Malheureusement la politesse proverbiale des moeurs dijonnaises a peut-être affaibli en elles l’antique énergie de la cordialité bourguignonne.

C’est encore moins leur amour exclusif pour Dijon que je me sentirais capable de reprocher aux Dijonnais généralement infatués de leur pays. Dijon est pour les enfants de Dijon le pivot du monde ; ils ne prononcent jamais les cinq lettres qui forment ce nom sans une complaisance affectée, une sorte de prosodie et d’inflexion particulières, d’accent présomptueux : peu s’en faut qu’en parlant du reste de la Côte-d’Or et de la Saône-et-Loire, ils ne disent la province… peu m’importe. Dijon, en fait, est le coeur moral de notre contrée, le foyer d’intelligence, de société, de progrès en tout genre, de science, de littérature et d’art qui la vivifie. L’esprit de patriotisme local ne peut jamais être trop exalté.

« Les cités secondaires de la Côte-d’Or ne sont rien »

Mais ce qui trouvera moins facilement grâce devant mon inexorable impartialité, ce sont les partis pris et les préjugés dijonnais à l’endroit d’autres villes notables du département, c’est ce génie d’absorption de la cité dijonnaise, génie qu’on ne lui a pas reproché sans causes légitimes, ce puissant instinct d’accaparement par suite duquel Dijon tend sans cesse à centraliser dans son sein tous les germes de vie, tous les avantages, toutes les ressources du département. Les cités secondaires de la Côte-d’Or ne sont rien dans l’esprit du chef-lieu, comme si sa part n’était pas assez belle, comme s’il ne pouvait pas vivre grandement, sans frapper les autres villes d’allanguissement (sic).

« Beaune est sa plus éclatante victime »

Plus d’une fois, le pouvoir modérateur du conseil général, a posé timidement des ombres de bornes aux envahissements dijonnais. – Mais Dijon, je le répète, n’est pas encore accoutumé aux restrictions apportées à l’exercice de sa puissance et à l’explosion de son initiative. – Beaune, dont la prospérité et le commerce lui font envie, est sa plus éclatante victime : c’est sur Beaune, l’antique Minervia, la soeur et peut-être l’ainée de Dijon, c’est sur Beaune que tombent tous les quolibets, toutes les ironies, tous les ostracismes, tous les sarcasmes. Beaune est devenu, dans l’esprit dijonnais, une sorte de Béotie bourguignonne. Aussi avec quel ton superbe on l’a traitée dans la question du chemin de fer de Paris à la Méditerranée, dont Dijon a attiré à lui la principale artère contre toute logique et tout droit, contre la carte géographique elle-même, contre toute idée d’économie et de parcours d’argent! La cité dijonnaise aurait considéré celle de Beaune comme une esclave au lieu de l’aimer comme une parente qu’elle n’eût pas agi d’une manière plus égoïste, plus hautaine et plus dure.

« Désireux de voir et d’être vu »

Et de toutes ces observations faites sans fiel, que résulte-t-il, sinon que Dijon a quelques travers comme tout ce qui a vie sous le firmament, et quelques épines parmi les fleurs épanouies et embaumées de la couronne que nous posons tous sur sa tête. J’aime ce peuple dijonnais toujours frondeur, mordant, spirituel, plein de finesse dans sa malice, type du “bourguignon salé”, comme dans le dernier siècle, toujours épris de vie extérieure, de fêtes, de spectacles, de plaisirs, et à l’instar du peuple romain, demandant sans cesse “panem et circenses”, aimant la rue, la place publique, désireux de voir et d’être vu.

« Rien n’y indique l’esprit mesquin et bourgeois du banquier »

L’esprit caustique des Dijonnais est ancien, (…) il se manifestait dans la “mère-folle”, dans cette société de “mocqueurs” formée par les membres dispersés de la “mère-folle”, et ensuite dans celle des oeuvres fortes qui la continua, et cette tradition n’a pas cessé de vivre sous le ciel dijonnais, avec la satyre et les chansons.

Quoique Dijon soit devenue une ville commerçante, qu’on ne vienne pas me dire que le commerce est dans ses moeurs ; c’est une position factice qu’il a prise fortuitement, par la force des circonstances qui tarissaient les anciennes sources de sa prospérité. Tout à Dijon semble encore annoncer l’oisiveté intelligente, rien n’y indique l’esprit mesquin et bourgeois du banquier. »

NB: quelques légères modifications, notamment liées à la cohérence typographique, ont été apportées au texte original, sans toutefois en dénaturer les termes ou le sens.

Publié par Jondi

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