Dijon : La maison « sans toit » et les pâtés de chair humaine

Article publié le 23 septembre 2016

Le bâtiment se démarque par son apparent manque de toiture. © BC - Jondi

Le bâtiment se démarque par son apparent manque de toiture. © BC – Jondi

Située au n°15 de la rue Bossuet, anciennement rue Saint-Jean, la bâtisse à l’aspect sombre intrigue par son apparent manque de toiture. Rasée, dit-on, pour punir un pâtissier criminel qui, au Moyen-Âge, broyait des enfants pour fourrer ses pâtés. Tout porte à croire que ce n’est qu’une pure légende, fixée au XIXe siècle et plus ou moins bien connue des Dijonnais.

« Les enfants entrent dans cette maison et n’en ressortent pas. »

«C’était en ?… Un pâtissier, selon d’autres un charcutier, habitait place Saint-Jean. Il jouissait, surtout pour ses pâtés, d’un immense renom. Sa manière de les faire était du reste originale à ce qu’il parait. Il entrainait chez lui de tout jeunes enfants, les coupait en fins morceaux puis les mettait ainsi dans ses pâtés. […] Une fois, notre homme se trompa. Il oublia de hacher menu le doigt d’un enfant. Le pâtissier fut accusé, mais l’enquête qui s’ensuivit n’aboutissait à rien. Un perruquier vint faire sa déposition « Les enfants, dit-il, entrent dans cette maison et n’en ressortent pas ». Le pâtissier fut condamné et sa maison place Saint Jean fut rasée […] »

Telles sont parmi les premières traces de la légende de la « Maison sans Toit » qui apparaissent fin XIXe siècle dans La Maison maudite à Dijon, d’après des documents publiés par l’écrivain Marcel Racle en 1882. L’origine de l’histoire est ambiguë, à commencer par la date. Les écrits parlent de l’époque du Moyen Age, mais aucun chiffre n’est clairement énoncé. Il en est de même pour le protagoniste, son identité est inconnue et sa profession diverge selon les sources. Est-ce un pâtissier ou un charcutier ?

« Une voix s’élève et demande de quelle chair sont faits les pâtés. »

Huit ans après, en 1890, le journaliste Michel-Hilaire Clément Janin écrit Les vieilles maisons de Dijon et apporte une nouvelle version des faits, sans en donner lui non plus la date. « Tous les Dijonnais la connaissent cette maison […] Entrez-y et l’on vous montrera la place occupée jadis par la trappe épouvantable du pâtissier Jehan Carquelin. C’était un monstre ce pâtissier-là ! Sa renommée était grande à Dijon […] Quels pâtés ! ils étaient de rigueur sur toutes les tables bien servies […] Mais voilà que de sombres rumeurs circulent dans la ville et y jettent l’effroi. Des enfants disparaissent et bien que plusieurs bandes de bohémiens eussent été arrêtées, on n’avait pu retrouver les enfants volés. Guillemette Torchepinte arrive en pleine rue du Bourg poussant des cris de Mélusine : – j’ai perdu mon fils ! qu’on me rende mon fils ! La foule exaspérée commençait à accuser les juifs, quand une voix s’élève et demande de quelle chair sont faits les pâtés de Jehan Carquelin. La justice s’émeut ; on accourt chez l’infâme commerçant et l’on trouve dans sa cave les débris sanglants d’un enfant… Jehan Carquelin fut condamné à mort, et le toit de sa maison fut enlevé en signe d’infamie […] »

« Un petit doigt d’enfant qui était resté avec l’ongle au fond d’un pâté. »

Le protagoniste possède ici un nom, il s’agirait de Jehan Carquelin, tandis que dans certaines versions le prénom est écrit Jean. D’après l’auteur, le crime aurait été découvert non pas par un doigt retrouvé dans un des pâtés, mais par la disparition de l’enfant d’une femme, Guillemette Torchepinte. Comme pour la précédente version, les faits sont rapportés et l’origine est toujours inconnue. Cela dit un des points communs reste la suppression du toit en conséquence des crimes. Mais aucune trace d’une enquête établie n’est retrouvée dans les archives départementales comme municipales afin de confirmer l’exactitude des faits. Le plus ancien écrit retrouvé datant de 1865-1866 dans La Commission des antiquités de la Côte-d’Or semble confirmer l’idée d’une légende : « Il n’y a pas de ville en France qui n’ait son Carquelin […] Paris a eu sa légende populaire d’un barbier et d’un pâtissier qui avaient une raison sociale en commandite pour la chair à pâté. On montre à Besançon, sur une petite place, une maison dans laquelle résidait aussi un Carquelin, et contre lequel la lumière se fit à l’occasion d’un petit doigt d’enfant qui était resté avec l’ongle au fond d’un pâté […] »

La même légende à Paris, Besançon…

Effectivement, au XVe siècle, toujours à l’époque médiévale donc, la rue des Marmousets et la rue des Deux-Hermites à Paris auraient connu le même scénario : un barbier et un pâtissier. L’un avait pour mission d’égorger et de dépecer ses victimes, souvent des étudiants, puis d’envoyer la chair hachée par une trappe chez son voisin. Les spécialités ont eu un succès important, comme pour Jehan Carquelin, auprès des clients parisiens mais, alertée par les aboiements suspects d’un chien, la gendarmerie a découvert dans la cave l’outillage qui a servi aux meurtres. Les deux hommes ont avoué leurs crimes et ont été condamnés à mort en perdant également le toit de leur maison. Une légende là aussi? Les archives criminelles de l’époque ayant été brûlées lors de la Commune de Paris en 1871, il ne reste aucune preuve concrète de l’affaire.

A Besançon, ce sont deux versions de cette même histoire qui sont racontées. La première provient de Mémoires et documents inédits pour servir à l’histoire de la Franche-Comté et reprend l’idée qu’effectivement, une place nommée place Labouré était autrefois occupée par plusieurs maisons. Une de ces demeures appartenait en 1618 à un nommé Labouré. Elle aurait été celle d’un pâtissier renommé, et dont les pâtés étaient très recherchés. Pour les rendre succulents, il y faisait entrer de la chair hachée de petits enfants qu’il égorgeait après les avoir adroitement attirés chez lui. Un hasard tragique fit découvrir son secret. Il fut pris et exécuté sur le lieu même de ses crimes et sa maison fut rasée. Depuis, la place a gardé son nom. La légende est une nouvelle fois la même, en reprenant comme personnage principal un pâtissier, comme victimes des enfants et comme sentence finale l’abolition du toit de la maison.

Dans une deuxième version tirée du livre de Gabriel Gravier Franche Comté : Pays des légendes, toujours liée à la ville de Besançon, c’est le nom « Carquelin » ou plutôt « Craquelin » qui intrigue, puisqu’il est rattaché comme une coïncidence à une pâtisserie originaire de Baume-les-Dames.

Sweeney Todd, le barbier londonien

Même de l’autre côté de la Manche, en Angleterre, on retrouve ce type de légende, avec la première apparition de Sweeney Todd en 1846 dans un roman de James Malcolm Rymer et Thomas Peckett Prest (adapté en 2007 au cinéma par Tim Burton, avec Johnny Depp dans le rôle principal). Un barbier londonien tranche la gorge de ses clients et se débarrasse des cadavres avec l’aide de sa maîtresse Mrs Lovett, qui en farcit les friands qu’elle vend dans sa boutique. Ceci n’est qu’une pure invention, qui s’inspire de ce qui s’est légendé au Moyen Age et surtout de l’influence de ce qui se serait passé à Paris.

La « Maison sans Toit » a donc tout d’une légende urbaine. Comme le décrit le professeur Jean-Bruno Renard, dans le livre Que sais-je ? : Rumeurs et légendes urbaines, il s’agit d’un récit anonyme, dont on ne peut pas savoir réellement par qui l’histoire a été inventée. Elle est au fur et à mesure des siècles remise au goût du jour par différentes versions et est généralement courte. Les péripéties décrites possèdent les détails les plus importants sans ajouts d’extras, ce qui amène généralement l’histoire à une fin inattendue: la chute. L’histoire paraît invraisemblable derrière un cadre obscur mais contient un message implicite, « une morale cachée à laquelle nous adhérons » : les enfants ne doivent pas parler aux inconnus.

Sources :
1- GRAVIER, Gabriel, Franche-Comté, pays des légendes, Editions Marque-Maillard, 1980.
2- RACLE, Marcel, La Maison maudite à Dijon, 1882, bibliothèque municipale de Dijon.
3- CLEMENT JANIN, Michel-Hilaire, Les vieilles maisons de Dijon, 1890, bibliothèque municipale de Dijon.
4- Mémoires de la Commission des antiquités du département de la Côte-d’Or, Compte rendu des travaux, p51, 1865-1866.
5- Mémoires et documents inédits pour servir à l’histoire de la Franche-Comté, publié par l’académie de Besançon, Tome 1, 1838.
6- RENARD, Jean Bruno, Rumeurs et légendes urbaines, 1999.
7- FYOT, Eugène, Dijon son passé évoqué par ses rues, 1928, bibliothèque municipale de Dijon.

Publié par Jondi

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5 commentaires

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  1. Guy

    il y a une erreur dans l’article il ne faut pas dire 15 rue Bossuet mais 15 place Bossuet.

  2. Daniele blanchot

    Je connais l’histoire comme tu l’écrit, et ce sera pour toujours, si ça se trouve ou pourquoi pas où encore va savoir !! En tout cas la maison n’a pas de toit et à côté il y a du pain d’épices fait avec quoi…. va savoir !

  3. tienne

    Il ne s’agit pas de un dégât des eaux mais de la construction d une terasse.

  4. Jean-Michel

    Toutes les maisons sans toit son maudites, cela s’appelle des cages à poules ou des blockhaus. Les non-architectes qui les construisent sont également maudits !

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