Planter des arbres au centre-ville : vraie solution ou simple poudre aux yeux ?

Article publié le 1 août 2019

[Point de vue] A contre-courant d’une tendance qui semble faire consensus contre le réchauffement climatique, l’architecte dijonnais Vincent Athias explique pourquoi planter quelques arbres ne suffira pas à adapter nos villes occidentales aux défis à venir.

Place du Bareuzai à Dijon. © Bertrand Carlier – Jondi

Le réchauffement ne peut plus être nié, même par ceux qui le niaient encore veille. Selon deux études distinctes publiées le 24 juillet dernier, le réchauffement planétaire actuel serait sans précédent depuis 2000 ans. Toute la planète est désormais touchée et ce dans des proportions qui valident les scénarios des experts parmi les plus pessimistes. Or, si la prise de conscience est aujourd’hui pratiquement unanime, les mesures peinent à se mettre en place à l’échelon international et s’avèrent bien souvent contreproductives à l’échelon national. C’est au niveau local que l’action paye vraiment et c’est cet échelon politique qui sera renouvelé en mars prochain. Que faire, que proposer sans hypothéquer ses chances d’être élu ? Le mieux serait de trouver une solution simple produisant beaucoup d’effet sans bouleverser la vie des gens et mieux même, en l’améliorant. Comme planter des arbres dans les rues par exemple. La ville de Bordeaux ne vient-elle pas de promettre 20 000 plantations pour les années à venir ?

L’arbre de rue : la promesse de faire beaucoup en changeant peu

Planter des arbres dans nos rues est une solution économique et facile à mettre en œuvre pour lutter contre les fameux « ilot de chaleur ». L’arbre assainit l’air ambiant, régule son taux d’humidité et favorise le cycle de l’eau grâce à ses racines. Voir davantage d’arbres dans nos rues rendrait nos villes plus supportables : nous n’avons jamais autant vécu en ville et dans le même temps nous adorons les détester… Sauf là où il y a des arbres. Nous avons également besoin de nous rassurer avec les images du passé. Les arbres de rue évoquent les boulevards ombragés des photos de Doisneau en convoquant un Eden perdu et ses bouquinistes sous les platanes, et ses amants sous les tilleuls. Une vie paisible loin des torpeurs et des soubresauts contemporains.
Face au défi climatique, l’arbre de rue réussit le tour de force de faire consensus entre, d’un côté, les écologistes pour qui l’urgence commande quitte à recourir à la contrainte, et d’un autre côté les conservateurs pour qui les valeurs traditionnelles et les libertés individuelles priment sur tout le reste. Paradoxal ! Encore mieux : L’arbre de rue réconcilierait le décideur avec l’usager autour du dessein d’un acte efficace et économique sans rien changer à nos modes de vie. Mais l’arbre s’épanouit-il vraiment en ville ? L’arbre aime-t-il vivre dans nos rues ?

L’arbre de rue stresse comme vous et moi

Nous avons de la sympathie pour les arbres de nos rues. Admettons donc qu’ils puissent souffrir à leur manière de la vie urbaine. Les facteurs ne manquent pas : air trop sec, rareté de la ressource en eau, racines développées dans une motte trop petites, vandalisme… La rue offre un cadre bien peu propice à un organisme vivant qui recherche des ressources pérennes et une croissance rythmée par les saisons. Le ramassage des feuilles mortes et la pollution lumineuse sont des facteurs de stress qui ont des conséquences concrètes sur leur capacité à réguler l’air ambiant.
En réalité, rien ne prouve que vingt mille arbres de rue plantés dans une métropole de plusieurs centaines de milliers d’habitants logés dans des dizaines de milliers d’immeubles maçonnés aient un effet global sur la résorption des bulles de chaleur urbaine : lorsque les séquences de canicule se succèdent au cours d’un même été, l’air urbain devient sec et l’évapotranspiration du houpier diminue pour devenir marginale : l’arbre de rue souffre à sa façon de la chaleur et ses capacités déclinent à peu près au même rythme que les nôtres.
En définitive, pour améliorer notre confort de vie, nous convenons de dégrader celui d’autres organismes vivants, et ce sans certitude d’efficacité. Soit, mais dans ce cas, n’en faisons pas un argument écologique ou tout au moins, prenons bien en considération les besoins de ces nouveaux hôtes des rues, et assurons-nous que les bénéfices qu’ils sont susceptibles de nous apporter compenseront vraiment les ressources que nous consacrerons à satisfaire leurs propres besoins.

Un arbre en ville est un consommateur comme les autres

L’arbre est un consommateur d’eau comme les autres. Si nous occultons cet état de fait c’est parce que nous sommes convaincus que les bénéfices climatiques des plantations urbaines compenseront nécessairement l’élévation de la consommation d’eau induite. Mais en définitive planter plus d’arbres en ville alors que les pénuries d’eau sont destinées à se multiplier, est-ce bien raisonnable ? Il y a de quoi s’interroger.
Déjà, sur des territoires forestiers de l’Est de la France où la pluviométrie était traditionnellement importante, des massifs entiers de résineux périclitent. Là-bas pourtant nul immeuble, pas de rues pour amplifier l’échauffement : juste un manque d’eau chronique qu’il faudra bien compenser pour nos arbres de rue. Or, un conifère de taille adulte consomme plus de 300 litres d’eau par jour et un feuillu ornemental facilement 50% en plus.
Si nous suivons la logique contemporaine, les pays où la chaleur est cuisante depuis des millénaires auraient dû massivement planter leurs rues. Or, si les grandes artères du Caire, d’Athènes, d’Alger sont plantées d’arbres, c’est un luxe dont les petites rues doivent se passer. Là, la ville a développé d’autres moyens de lutter contre la chaleur par la morphologie des rues, par les encorbellements qui produisent l’ombrage, par les patios et la ventilation naturelle. Tout le contraire de ce que nous avons fait.

L’arbre ne saurait compenser la mauvaise adaptation de notre modèle urbain aux fortes chaleurs

Nous n’avons pas développé nos villes pour lutter contre les fortes chaleurs au moyen de la végétation. Historiquement, la nature était peu présente dans nos quartiers populaires parce qu’elle était trop souvent synonyme d’insalubrité. Elle se cantonnait aux rives des cours d’eau urbains, ces égouts à ciel ouvert auxquels les faubourgs tournaient le dos. Au XIXe siècle nos rues se sont élargies, sont devenues des boulevards et des avenues bordées d’immeubles relativement bas en proportion des voies, nantis de trop rares balcons et galeries pour donner de l’ombrage. Parce que l’on pense être en passe d’achever l’exploration du monde, les allées d’arbres des avenues, les plantations de conifères venus d’Amérique et les jardins d’acclimatation de nos grands centres haussmanniens sont avant tout destinés à montrer une nature enfin domestiquée. Une domestication qui se fait au prix de besoins d’entretien constants. Parallèlement, grâce à Mansart, les combles de nos copropriétés sont devenus logeables et ne jouent plus leur rôle de volumes d’air tampon au bénéfice du confort d’été de l’immeuble.
Plus tard, la mobilité urbaine a amplifié l’artificialisation des sols et l’élargissement des voies. Les surfaces glabres de nos toitures terrasses, dépourvues de tout débord, sont massivement exposées au soleil. Après de longs épisodes de chaleur le rayonnement des maçonneries et du cadre urbain annule tout rafraîchissement nocturne et rend l’air pollué irrespirable. En vérité nous le savons tous : planter quelques arbres dans nos rues ne suffira pas à compenser des siècles d’urbanisme réalisé en négligence des principes bioclimatiques. Pourtant nous continuons à plébisciter nos villes.

Nos villes étouffent de tout, pas que de la chaleur

Face à des territoires ruraux en recherche d’avenir et que nulle politique d’ampleur ne favorise, la ville constitue un ilot de confort ; promesse, pourtant de moins en moins tenue, de proximité avec les services, le travail, le logement et les loisirs. Ainsi que les spots de pub éthiques nous le rabâchent à longueur de journée, nous sommes également convaincus que c’est en étant tous ensemble et non isolés que nous relèverons le mieux les défis de demain. La campagne peut bien crever finalement, ou bien mieux : retourner à l’état de nature. Demain nous aurons des arbres de rue, demain nous aurons des vergers sur nos toits et des fermes verticales pour produire à proximité. Nous n’aurons plus besoin de campagne.
Allons, redescendons un peu sur terre : partout les métropoles étouffent. Pas seulement de trop de chaleur : elles étouffent de trop de tout. De densité au carré. Trop de logements superposés, trop d’activités dans un même lieu, trop de transits aux mêmes moments. Trop de tout ! Paris n’est qu’un vaste concert de marteaux-piqueurs. Marseille suppure de la bagnole par toutes ses pores. Dans les transports en communs de nos villes, même l’Autre est une friction.
Pour retrouver le bonheur dans nos villes, nous rêvons de vivre le quartier comme un village avec son épicerie, son square, son école. Pendant ce temps la majorité des villages de France ne survivent qu’au prix du combat quotidien des élus locaux qui doivent composer avec des politiques publiques inadaptées, le vieillissement croissant de la population, le fameux effet « double peine » de l’augmentation du coût de l’énergie, l’éloignement des services et le manque d’avenir d’une jeunesse désœuvrée qui voit tant de choses fermer autour d’elle. Nous ne sommes pas à un paradoxe près mais celui-ci pourrait bien nous tuer. Il faut revoir radicalement notre façon de vivre ensemble et d’aménager le territoire. Si les villes ont trop chaud il ne leur faut pas seulement des arbres : il leur faut de l’air.

A bas la métropole, vive l’archipel

Il nous faut faire le deuil de l’hyperconcentration et repenser notre vie en archipel. La densité urbaine est à l’image de la croissance économique : elle a des conséquences concrètes sur l’environnement et ne peut plus être considérée comme infinie. Plutôt que de vouloir transplanter des arbres dans nos rues et par là même augmenter encore une densité urbaine déjà critique, voyons plutôt comment une déconcentration de nos villes et de nouvelles interconnexions entre nos territoires peuvent favoriser une relation renouvelée au végétal, moins artificielle et plus égalitaire. Les arbres ne doivent plus être des outils serviles de notre confort mais des partenaires d’un bien vivre ensemble.
Commençons donc par nous rappeler que nos feuillus ne s’épanouissent vraiment qu’en colonies, tout comme l’espèce humaine, et adaptons les essences aux bouleversements climatiques. Lançons des plans ambitieux de reconquête des zones humides sur les aires commerciales et déconcentrons massivement notre manière de vivre ensemble. En quoi avons-nous besoin de vivre agglutinés dans un monde interconnecté ? En quoi vivre dans un petit bourg serait-il pire que dans une grande ville dès lors que le projet de développement commun favorise, mais favorise massivement, ce type d’occupation de l’espace. Définitivement, à l’échelle urbaine comme à l’échelle architecturale, il nous faut changer d’échelle. La fin du tout voiture peut nous y aider.

La fin du tout voiture redessinera nos rues et nos logements bien mieux que les arbres

Sur les images qui circulent pour souligner les bénéfices de l’arbre de rue, on voit d’un côté une rue bordée de voiture écrasée de chaleur et d’un autre côté la même rue et les mêmes voitures avec des arbres en plus. Le message est clair : point besoin de trop changer. Plantons des arbres et même : peignons nos rues et nos terrasses en blanc. Gardons nos villes hyperconcentrées, gardons nos larges rues, gardons nos bagnoles.
En réalité la voiture reine est morte. Et avec elle ce module de plus ou moins 2,5×5 m qui structurait non seulement nos rues et leurs stationnements mais aussi les parkings souterrains et donc nos immeubles eux-mêmes. Et leurs ilots. Vrai, la ville moderne s’est construite sur ce module. La ville de demain devra s’en trouver un autre, plus proche de l’individu et des défis qu’il lui faut relever. Retrouver l’étroitesse dans l’espace public, traiter le vis-à-vis avec intelligence ou réapprendre à se voir. Penser la façade en volume pour la rendre aimable et protectrice pour l’usage public, notamment par des ombrages sur la rue. Concevoir la toiture comme le moteur principal du confort d’été en luttant contre le gaspillage d’espace par la rétention d’eau en hauteur, la plantation, les volumes d’air susceptibles d’amortir les variations de température. C’est tout un modèle territorial, urbain et architectural qu’il nous faut redéfinir si nous voulons survivre.

Il ne devrait plus y avoir de métropole hyperconcentrée phagocytant ses marges, plus de minéralité urbaine que quelques arbres ne compenseront en rien, Il ne devrait plus y avoir de toiture terrasse sans rétention d’eau ni végétalisation intensive, plus de façade sans encorbellement, plus de rue disproportionnée où le vide chasse l’ombre, plus d’immeuble sans espace commun pensé pour ventiler et se rencontrer, plus de végétalisation en ville sans feuillage en port libre ni racines en pleine terre. Faire beaucoup en changeant peu, cette promesse-là est illusoire et nous précipite à notre perte. Elle assurera certainement quelques victoires aux élections municipales mais ne changera rien à notre destin commun et n’absoudra pas les futurs édiles de leur responsabilité à agir fortement face au défi climatique.

Publié par Jondi

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5 commentaires

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  1. tony

    en attendant de modifier l’urbanisme, on peut quand même végétaliser la ville selon le quartier plus ou moins urbanisé: c’est à dire désimperméabiliser les trottoirs, créer des noues, planter des arbres et arbustes si possibles fruitiers, planter des plantes grimpantes sur les murs en hypercentre et son corrolaire, les arroser lors des canicules pour leur permettre d’assurer un effet rafraichissant. A l’ombre des arbres et des murs végétalisés par des plantes grimpantes, quand il fait 30°C dehors, la sensation de fraicheurs du fait de l’ombrage est immédiat

    Les toits et le pavement exposés au soleil ont des températures de surface de plus de 50 °C. Les températures de surface des grands arbres dans le parc voisin sont de 34,2 °C. La température d’un parasol dans la terrasse d’un restaurant est de 46,6°C.

    L’arbre plus fort que le parasol!

    Quelle est la différence entre l’ombre d’un parasol et l’ombre d’un arbre ? Un arbre non seulement réfléchit le rayonnement solaire (environ 20 %), mais aussi refroidit activement en évaporant de l’eau. Un parasol quant à lui réfléchit seulement le rayonnement solaire (environ 23 %) et rafraîchit ainsi moins bien que l’arbre. Donc, une personne s’asseyant sous un arbre se sent bien et avec une sensation de fraîcheur, alors qu’une personne s’asseyant sous un parasol reçoit la chaleur des lieux voisins plus chauds

    voir https://eau-iledefrance.fr/comment-les-arbres-rafraichissent-la-ville/

    C’est pas dans 30 ans que les arbres pousseront mieux, alors n’attendons pas: planter les pieds de murs se fait dans d’autres villes (rennes : http://www.mce-info.org/upload/File/methodo_vegetalisons.pdf,...);
    Demandez la même chose à votre élu des espaces verts de la ville M. Patrice Chateau
    pchateau@ville-dijon.fr

  2. Pauline

    Article très intéressant. Merci. Dommage que le titre soit si polémique… Merci pour ces propositions, j’espère qu’elles feront des petits!

  3. Lio

    Sauf que si on ouvre les yeux dans Dijon, il y a pas mal d’arbres qui sont actuellement morts avec la sécheresse de 2017 ( c’est trop tard ! ). Avec les 1500ppm de CO2 qui arrive avec ce permafrost en train de dégelé en créant son propre effet de serre local (c’est exponentiel et inarrêtable jusqu’au dégel intégral), il faut se tourner vers une architecture adaptée à la chaleur, modifier les immeubles pour y aménager des puits, peindre tous ce qui est sombres en blanc comme les toits et les routes, et au sujet des arbres ? Des arrêtés pour interdire la coupe des arbres serait bien venu, ainsi que stopper la bétonisation de quartiers entiers. Pour les arbres à planter dans le futur je pense que nous pouvons sérieusement songer à des espèces africaines comme le baobab, ou des cactus et plantes grasses…

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