Dijon: la banane de la réunification
Article publié le 5 mai 2016
Le « sprayeur de bananes » a frappé à la porte de la Maison Rhénanie-Palatinat, faisant de Dijon l’un des 4000 lieux de « la plus grande action dadaïste de toute l’histoire de l’art ».
Au 29 de la rue Buffon à Dijon, dans la cour de l’hôtel particulier, une curieuse banane orne les portes de la Maison de la Rhénanie-Palatinat. Il ne s’agit ni d’une pâle copie de la banane d’Andy Warhol sur l’album des Velvet Underground, ni d’un simple graffiti tagué là par hasard. Elle est l’œuvre de Thomas Baumgärtel, aussi connu sous le pseudonyme de «sprayeur de bananes». Les travaux de l’artiste allemand, qui a exposé à la Maison Rhénanie-Palatinat en novembre 2009, tournent tous autour de ce fruit. Car la banane, en Allemagne en particulier, est lourde de symbolique.
Du temps de la frontière inter-allemande, ceux de l’Est rêvaient de luxe, d’abondance et de bananes. Ce fruit, qui nous semble aujourd’hui totalement banal, était à l’époque l’objet de tous les désirs en RDA puisqu’il était très difficile de s’en procurer. Et lors de l’ouverture de la frontière, les Allemands de l’Est achetèrent des caisses entières de bananes, craignant un épuisement des stocks. Ils baptisèrent la RDA « Bananenrepublik », qui signifie à la fois « République des bananes » et « République bananière ».
La carrière artistique de Baumgärtel a débuté avec une banane et c’est sûrement par une banane qu’elle se terminera. Tout a commencé en 1983, à l’hôpital catholique de Rheinberg. D’austères crucifix sont accrochés au-dessus des lits des patients. Un jour, une croix tombe par terre, le Christ se décroche. Thomas Baumgärtel, qui effectuait alors son service civil, décide de remplacer Jésus par une peau de banane et d’élever ainsi le fruit au rang de Dieu. Cette crucifixion moderne va être un élément clé dans la carrière artistique du jeune allemand. Suite à cette expérience, il décide de s’inscrire à l’université de Cologne afin d’étudier l’art. Et quand ses professeurs lui demandent de peindre des natures-mortes de fruit, il est déjà évident pour lui que la banane sera son seul et unique modèle.
A partir de 1986, la bananeraie de Baumgärtel est lancée: l’artiste tague ses premières bananes – semblables à celle que l’on peut trouver sur la porte de la Maison Rhénanie-Palatinat – sur les façades des galeries d’art et des musées de Cologne.
D’après le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, le banana-art tel que le pratique Baumgärtel n’a pas toujours suscité l’enthousiasme. Il se fait par exemple arrêter en train de taguer la façade du Ludwig Museum et écope d’une lourde amende et d’un ordre de détention provisoire. Tout cela à cause d’une banane… Quelques années plus tard, il sera invité par le directeur de ce même musée afin de marquer le lieu d’une nouvelle banane. Aujourd’hui, sa signature se retrouve sur les façades de près de 4000 lieux d’art entre New York et Moscou. Pour Reinhold Misselbeck, il s’agit de « la plus grande action dadaïste de toute l’histoire de l’art ».
Le banana-art de Baumgärtel est devenu un gage de qualité et le logo non officiel des lieux engagés artistiquement et culturellement. Partout dans le monde, il est considéré comme un symbole artistique mais aussi comme le symbole de la liberté et de la réunification. D’ailleurs si l’on regarde attentivement la banane que l’on trouve sur les portes de la Maison Rhénanie-Palatinat, on peut remarquer que l’extrémité supérieure représente la Fernsehturm, la tour de la télévision de Berlin, qui symbolise en fait l’Allemagne réunifiée.
L’artiste bananise tout. La statue de la Liberté qui tient une banane à la place d’un flambeau? C’est une idée de Baumgärtel évidemment. L’artiste détourne et relooke les bananes, il les transforme par exemple en euros ou en dollars afin de dénoncer la société de consommation. Il est même à l’origine d’un tout nouveau mouvement artistique: le «pointillisme polychrome à la banane». Thomas Baumgärtel peint toujours des natures-mortes en acrylique sur toile, mais ce qui ressemble de loin à des pommes, des poires ou des citrons surdimensionnés est en fait composé de centaines de mini-bananes. Un clin d’œil ironique à ses professeurs d’art de l’époque.
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